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In Comme un terrier dans ligloo, avril 2001. | ||||||||
ussi vrai qu'il n'y a pas d'écran de fumée sans feu, pédophilie et secte sont deux mots magiques, incontestables, qui valent bien le bûcher hier nécessité par le mot « sorcellerie », par exemple. Il ne s'agit pas de « négationnisme » comme on dit aujourd'hui, nous sommes d'accord : il existe des pédophiles et des sectateurs, mais qui sont-ils, exactement, ces sectateurs et ces pédophiles ? Des types qui ouvrent leur imperméable à la sortie des écoles ou des violeurs ? Des hérétiques ou des fanatiques ? Des qui font des « cures » en Thaïlande ou d'autres qui ayant entendu parler d'un certain Sigmund Freud s'inquiètent en toute pédagogie de l'épanouissement des enfants, à commencer par les leurs ? S'il faut en croire, ce qu'un monsieur a dit la dernière fois dans notre courrier des lecteurs — que les mots étaient des actes au premier degré — les pédophiles ne sont rien moins que ce que les « gens ordinaires » entendent par pédophiles. Il faut croire que l'acception du terme était, il y a une trentaine d'années, moins entendue qu'aujourd'hui, qui ne contrevenait à aucune remise en question sur la place publique. Ainsi, de temps à autre, il m'arrivait d'acheter en kiosque, pas même interdites à l'affichage public, les revues Actuel (1) ou Sexpol. Dans le Petit Larousse de 1936, les mots pédéraste et pédophile sont introuvables. Dans le Littré en 10/18 (1964), je lis à pédérastie : vice contre nature. Rien à pédophilie. Qu'y a-t-il de commun entre pédérastie et pédophilie ? Le Robert donne à pédérastie : empr. du gr. paiderasteia, de erân, « aimer », et paidos « enfant, jeune garçon » : commerce charnel de l'homme avec le jeune garçon et, par ext., toute pratique homosexuelle masculine. Ainsi le supplément au Robert (1975) peut-il donner pédale pour pédéraste, c'est-à-dire homosexuel. Même son de cloche dans le Larousse de poche (1996) qui dit : pédéraste : homme qui s'adonne à la pédérastie, et pédérastie : attirance sexuelle d'un homme pour les jeunes garçons ; homosexualité masculine. Ceci à l'encontre du dictionnaire de poche Hachette qui nous dit que l'emploi de pédéraste pour homosexuel est abusif, ce que confirme André Gide : « J'appelle pédéraste, celui qui, comme le mot l'indique, s'éprend des jeunes garçons. J'appelle sodomite... celui dont le désir s'adresse aux hommes faits ». (Journ., Feuillets, II, févr. 1918). À cet endroit, je prends bonne note que, selon le Larousse de poche, être pédéraste c'est s'adonner à l'attirance, etc. Attirance sexuelle pour les enfants, y est-il encore écrit au mot pédophile. Même définition dans le supplément au Robert et dans le Dictionnaire de poche Hachette. Ainsi le mot pédérastie qui appartenait au champ sémantique : a) du vice contre nature avec les jeunes garçons ; b) du vice contre nature avec les hommes, a-t-il distinctement laissé la place à pédophilie, vice contre nature avec les jeunes enfants (et non plus seulement les jeunes garçons), d'une part, et à l'homosexualité, qui n'est plus un vice contre nature, d'autre part. Toute polysémie selon quoi Lewis Carroll qu'on avait plutôt laissé filer doux avec ses photos de petites filles entre en attirance tandis qu'André Gide, via la désuétude dans laquelle est tombé le mot pédérastie (une certaine banalisation du mot pédé, également) est rapatrié du côté de la stricte homosexualité. Je parle du mot pédophile, je pourrais parler du mot secte, ou hier du mot réactionnaire, tout aussi sujets à l'amalgame. Car c'est bien d'amalgame qu'il s'agit. Avec la misérable campagne menée contre Daniel Cohn-Bendit, on voit bien à quel usage fourre-tout doit servir ce mot ; et quand l'usage devient politique, c'est du nanan ! D'abord, s'il doit s'agir de vice contre quelque chose, c'est bien plutôt contre culture que contre nature. À ce moment, comme il faut élider l'article de la violence pour qu'ayant entendu une vache braire tout le monde se mette à crier « haro sur le baudet ! », eh bien la question ne se pose plus : il suffit que l'attirance libidinale et la violence, violence sexuelle (c'est-à-dire psychologique et parfois physique), la remise en cause politique et la tolérance soient mises au même panier idéologique. Avec l'ignoble campagne menée contre Daniel Cohn-Bendit, disais-je, et derrière lui contre Joschka Fischer, s'affiche ce que nous subodorions depuis un petit bout de temps : que quelque chose de résolu à l'élimination, enkysté dans la couenne, cherche aujourd'hui à s'afficher au nom de la rationalité insensée nécessitée par l'économie de marché afin de parfaire la rotondité de son hégémonie. La paupérisation de masse, la machinerie policière qui a entouré les sommets OMC, FMI et autre World Economic FIM (Genève, Seattle, Prague, Zurich, Davos et Nice), le fichage systématique qui s'en est suivi, sans parler du retour de nervis fascistes armés sur la place publique, tout cela, et pas seulement les prochaines échéances électorales, brosse un tableau de guerre civile (je m'excuse de pousser le bouchon, mais Vers la guerre civile fut quand même le titre de l'ouvrage, jadis, d'un actuel Secrétaire d'État) hors duquel il est bien difficile de comprendre cette campagne. Que Daniel Cohn-Bendit ait été secoué montre bien les limites de sa confiance dans le libéralisme, pour ne pas dire sa complaisance, à ce sujet. Sans avoir de sympathie particulière pour lui, ni m'expliquer autrement que par leur arrivisme politique, à Joschka Fischer et à lui, la haine qu'éprouve à leur égard Bettina Röhl, la fille d’Ulrike Meinhof, il faut bien admettre que par-delà les salves de « vieux cons » et de « jeunes cons » que deux générations sont en train de se lancer à la figure, cette campagne de division pour régner excède passablement l'envie de s'en laver les mains. Le mot pédophilie, qui par ailleurs est un terme didactique datant du XXe, est d'usage récent : dans les 70's il n'existait pas. Pourquoi ? Parce que la pornographie qui n'en finit pas d'appeler de ses vœux l'exhibition d'adolescents et d'enfants n'existait pas sous sa forme généralisée actuelle. Dans les 70's, le discours du sexe appartenait à la littérature et au militantisme, et en toute ingénuité peut-être, mais en toute légitimité sûrement, il rebondissait sur tous ceux qui voulaient entendre ce qui se donnait à entendre. Là-dessus, exprimer ses remords comme Daniel Cohn-Bendit l'a fait, c'est non seulement prendre le risque de nier le mode d'énonciation original et joyeux d'une époque mais en outre implicitement abonder dans le sens des zélateurs du plus petit dénominateur commun : qu'il le veuille ou non, ce qu'il a écrit dans son livre fait partie d'une syntaxe publique. Vieux ou jeune — la question n'est pas de générations — il faut être un salaud pour feindre de l'ignorer. J'ajoute qu'il n'est pas besoin de relire Sade pour pressentir que pervers et autres casseurs d'enfance se trouvent plutôt du côté de ceux qui avant tout ont toujours pris soin de crier : « coupable ! » (2).
1. — Actuel : cf. le très bon hors série, mars 2001, 15 fr. 2. — Cf. le forum de L'Express <http://www.lexpress.fr/Express/forum/forum1.asp?Id=66> : Daniel Cohn-bendit est -il coupable ? |
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