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Au nom de la raison. | |||||||||||||
Encyclopédie des Nuisances, 12 janvier 2001. | ||||||||||||||
es faits qui vont être jugés à Montpellier le 8 février 2001 (sabotage dun riz transgénique expérimental du CIRAD à linitiative de la « Caravane intercontinentale ») ont marqué, en juin 1999, le point culminant de la campagne menée pendant près de deux ans contre les applications agricoles du génie génétique. Le but avait été d« aller au bout de ce qui avait été commencé, en passant de coups de main contre les compagnies privées aux premières offensives, nécessairement frontales, contre la recherche publique. Pas la recherche publique introuvable quune vertu sui generis sanctuariserait lexonérant de toute responsabilité dans le monde comme il va, mais la recherche publique réelle, prise la main dans le sac de ce quelle produit ». (1) Lintroduction de ces « OGM
agricoles » qui serait sans doute passée inaperçue sans cette sorte de
« campagne dinformation », a été assez généralement ressentie comme
révoltante, et une aura de sympathie a entouré ceux qui sétaient ainsi
publiquement opposés à ce nouveau seuil dans lartificialisation de la vie. Mais la tentative de supplanter la nature, de lui
substituer une technosphère bureaucratiquement gérable, a seulement
« commencé » alors à être jugée pour ce quelle est. À lheure où la domination se propose, à
coups dexpérimentations génétiques aveugles, de refermer sur lhumanité sa
prison technologique « et den jeter la clef », le temps nous est plus
que jamais mesuré. Après lexemple de chimères génétiques agricoles, et alors que le désastre dun mode de production est si patent (en particulier avec le détraquement climatique, aux effets sur la vie naturelle plus directs encore que ceux des manipulations génétiques), les conditions existent pour quune opposition anti-industrielle émerge et se déclare comme telle. Sil nest pas élargi à lensemble des contraintes technologiques, le terrain de la « lutte anti-OGM » restera occupé, cest-à-dire parasité, par divers succédanés de critique, qui se combinent dailleurs aisément dans la pâte molle de la rhétorique anti-mondialiste : la complaisante dénonciation façon Attac ou Monde diplomatique, où lindignation se sanctifie elle-même comme summum de la conscience, sans quon dise jamais rien contre le mode de vie moderne (on sy émerveille fort des espaces de liberté ouverts par le cyber-militantisme), et encore moins contre lÉtat, auquel on sen remet pour instaurer, un jour peut-être, la transparence et le bonheur citoyen ; le consumérisme écologiquement correct, qui réclame de « bons produits », voire une « vie saine », pour continuer à supporter lindustrialisation totale du monde (on voit comment le corporatisme à peine masqué de la Confédération paysanne ou dun Bové, inculpé avec Riesel dans le procès de Montpellier, contribue à alimenter lillusionnisme publicitaire de lagro-industrie labellisée terroir) ; enfin, le gauchisme prolongé, toujours en quête de « justes causes » pour soutenir son bluff activiste, et qui ne veut surtout pas réfléchir aux enjeux réels de loppositions aux nécrotechnologies, préférant noyer tout cela dans sa vieille soupe de slogans « anticapitalistes » (ce gauchisme mouvementiste sert dailleurs très volontiers de piétaille manifestante et de masse de manuvre aux néo-étatistes et citoyennistes, comme on la vu récemment à Nice). Dans ces diverses consolations que procure la fausse conscience car il est consolant dimaginer un capitalisme qui ne serait pas le processus même de la mécanisation du monde, mais seulement son excroissance marchande, on retrouve le même compromis illusoire entre ce quon est bien obligé dadmettre et ce quon veut continuer à croire. Il faut pourtant aller jusquaux dernières conséquences de la critique si lon veut combattre le rationalisme technologique « au nom de la raison » (et non dune des multiples illusions de sortie individuelle et immédiate du monde industriel que cette société sempresse de fournir elle-même : spiritualités de synthèse, naturisme sectaire, irrationnalisme illuminé, cyber-vie à la campagne, etc.). Quand un biologiste un peu moins décervelé que ses confrères remarque quun homme bricolé génétiquement, avec échange standard des pièces défectueuses, cerveau compris, perdrait alors « toute identité, toute conscience de soi » (3), il convient de comprendre que cest seulement dans la mesure où cette « conscience de soi » sest déjà éteinte quil devient possible denvisager comme une bonne nouvelle la totale dépendance ainsi promise envers les prothèses technologiques et les tripatouillages génétiques, sans même voir que cette promesse sordide est en outre un plat mensonge, comme toute pseudo-médecine qui prétend adapter lhomme à un milieu morbide. Les bricolages de la transgénèse échoueront bien
sûr à nous transporter, misérablement immortels, dans un pays de cocagne cybernétique.
En réalité, pour tout individu sensé,
cest-à-dire qui na pas renoncé à lusage raisonné de ses sens, il
ny a rien qui puisse satisfaire ou même éveiller la curiosité dans cette
entreprise de simplification qui ne procède jamais que par la dévitalisation, la
stérilisation méthodique : on ne sort jamais du laboratoire, on létend
à tout, pour retrouver partout les mêmes présupposés mécanistes et les mêmes
procédures techniques. Que chacun prenne donc ses dispositions pour que
linsignifiance nait pas cette fois le monopole de la parole, et que ceux qui
nont rien à dire ne soient pas comme dhabitude les seuls à sexprimer.
1. René Riesel, texte
pour le magazine lÉcologiste, automne 2000, repris dans la nouvelle
édition augmentée des Déclarations sur lagriculture transgénique et ceux qui
prétendent sy opposer, Éditions de lEncyclopédie des Nuisances, Paris,
2001.
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