os vies sont sujettes à des temps sociaux ; organisations
et alternances calendaires, fêtes carillonnées, commémorations républicaines,
anniversaires et « rendez-vous » marchands les ponctuent.
Le pouvoir sur les temps sociaux participe, avec dautres, du
pouvoir plus général dordonnancement et de domination des catégories
de pensée ; aujourdhui, ce pouvoir est dévolu au Marché.
LÉglise en eût le contrôle, réorganisant
la journée, les semaines, lannée. Elle a recyclé les fêtes païennes,
les raouts saisonniers en autant de fêtes votives, consacrées à ses
figures emblématiques ; notre semaine mime la divine création
du monde. Les protestations des prélats daujourdhui envers
« Halloween-fête païenne » ne dénotent que leur impuissance
à récupérer cette fête-là ; lÉglise catholique et romaine
na plus ce pouvoir, son temps est dépassé, cest tout.
Ainsi, la République fut trop faible pour imposer
le calendrier révolutionnaire non plus que les commémorations robespierriennes.
Elle a glissé ça et là quelques cérémonies républicaines, moments
fondateurs, victoires contre lÉtranger ; le mouvement ouvrier
a quémandé son 1er Mai. Le droit bourgeois a surtout entériné
le temps religieux avec quelques enjolivures.
Faute de pouvoir déplacer le 1er Mai au Labors
day, des néo-gaullistes viennent de proposer, après les libéraux-avancés®,
la suppression du 8 mai, le prétexte de réconciliation avec lÉtranger
masquant mal lobjectif de lutte contre la désorganisation productive
inhérente au joli mois.
Alors, faut-il adhérer au slogan, unificateur
des « rouges » et des « bruns », scandé sur lair
de lanti-impérialisme, « Halloween-fête américaine » ?
Je ne le crois pas, sauf à confondre Grand Satan et Marché.
Le Commerce a besoin datours symboliques pour enchanter les
tristesses de sa Marchandise, de vivifier régulièrement ses ternes
oriflammes, daiguiser nos appétits de goinfres repus.
La symbolique yanqui est plus facile à imposer, elle a lévidence
des discours de léconomie-monde : tout comme on essaie
vainement de penser léconomie hors des schèmes de son néo-libéralisme,
limaginaire est habillé à sa mode ; films, séries et cartoons
nous ont familiarisé de longue date avec la citrouille et ses avatars.
Lobstination dun producteur de masques et cotillons en
mal de débouchés moins saisonniers a fait le reste.
DOutre-Atlantique viendront peut-être ensuite Labors
day, Thanksgiving et autres célébrations insolites ;
déjà, nos boursicoteurs travaillent à cette heure américaine, la Saint-Patrick
fait les délices dun marchand de bières opportuniste. Mais,
croyez-vous échapper longtemps à lexotique nouvel an chinois
(déjà les férus dastrologie nous questionnent : es-tu
cochon ou bien chien ?), à une quelconque fiesta laponne ou patagonne,
pourvu quelle soit pittoresque et située à un moment « creux »
de lagenda commercial ? Peut-être sommes-nous protégés,
par prudence xénophobe, des deux Aïd et du Yom Kippour
généralisés
mais, entre fête des mères, des grand-mères, secrétaires,
bière de mars et beaujolais nouveau, quelque soit leur provenance,
pétainisme, marchands de café ou de fleurs, syndicats viticoles etc.,
le Commerce produit des leurres, enrobages et justifications divers
pour gaver davantage ses petits gloutons fatigués, pour désaltérer
lâne qui na plus soif. Le Jour du Seigneur nest
plus lui-même quune forteresse syndicale désolée et mal défendue,
la nuit un temps malheureusement hors du bon temps. La vague
marchande engloutira tous les récifs du temps domestique pas encore
domestiqué !
Halloween nest donc quune péripétie
de cette offensive marchande sur les temps sociaux, ses éclaireurs
furent les « vecteurs dachats » juvéniles, appuyés
par les traîtres pédagogues.
Des petits cons braillards qui déambulent en exigeant leur dû au risque
du caprice et des représailles, ce nest après tout que lordinaire
de la relation parentale contemporaine, parent-complice, parent-négociateur,
parent-fournisseur.
Parents, interdisez Halloween à vos enfants, engueulez les éducateurs !
Ça vous fera le plus grand bien dinterdire un peu, vous qui
nêtes sans doute pas même soixante-huitards attardés